Un oiseau oublie son chant d’amour, au risque de l’extinction

Récemment dans le Monde, je découvrais la triste histoire d’une espèce d’oiseau d’Australie : le méliphage régent.

Cet espèce d’oiseau présente la particularité d’une part d’avoir un chant compliqué et spécifique, « sonneries profondes, de notes qui enflent, de bruits inarticulés et légèrement trillés », et, d’autre part, d’apprendre ce chant, non pas à la sortie de l’oeuf auprès de sa famille, mais auprès d’autres mâles adultes après avoir quitté le nid. Du fait de l’effondrement de la population des méliphages en raison de sécheresses répétées ou encore de la destruction de leur habitat, un nombre croissant de jeunes mâles ne parviennent pas à trouver de congénères susceptibles de les prendre sous leur aile pour ce compagnonnage. Du coup, ils finissent par apprendre le chant au contact d’autres espèces ; toutefois, ils ne semblent pas reproduire les chants suffisamment « correctement » pour trouver une compagne ; en effet, « les femelles ont tendance à éviter de s’accoupler et de nicher avec les mâles qui chantent mal ».

Une analogie entre l’histoire du méliphage et l’évolution de notre société trouve rapidement un certain nombre de limites. Mais si le méliphage risque de s’éteindre en oubliant son chant d’amour, l’humanité ne peut-elle pas être menacée si elle perd toute compétence éthique et notamment sa capacité à poser et discuter les enjeux éthiques. L’histoire du méliphage m’amène donc à une réflexion sur l’importance de la maîtrise de la langue, d’un côté, et le rôle du compagnonnage, de l’autre, dans la compétence éthique. L’idée étant de laisser cette histoire du méliphage vous inspirer, je ne ferai qu’ébaucher quelques éléments de réflexion dans ce sens.

Plus le vocabulaire est réduit, plus il est difficile de décrire la complexité du réel ou de préciser sa pensée, ses arguments ; la réduction du langage est une menace pour la pensée et, in fine, pour la liberté. La langue de bois ou les éléments de langage, fort utilisés en politique, sont de pâles imitations d’une langue porteuse de sens et de réflexion. Ces discours vides n’ont plus la même capacité en entraîner les autres et faire bouger le monde.

Plus spécifiquement, la maîtrise de la langue et de ses nuances est essentielle pour décrire la situation et ses enjeux éthiques ; elle l’est également pour poser ses arguments et articuler sa réflexion sur ces enjeux. Cela renvoie directement à la fameuse injonction d’Hannah Arendt de penser par soi-même (voir article Penser sans entraves avec Hannah Arendt).

Aujourd’hui, en matière d’éthique, il n’existe pas de formation à proprement parler. Lors de la formulation initiale, l’étudiant aura ses cours de philosophie de terminale (mais l’éthique ne se réduit pas à la philosophie) et éventuellement quelques heures de sensibilisation dans sa formation supérieure, sauf à suivre une formation dédiée, mais elles sont encore rares. Dans le monde du travail, l’employé aura quelques sessions ou modules d’e-learning mais souvent le contenu de sa formation se limitera à un rappel de règles et ne visera pas à développer une véritable compétence de réflexion éthique. A l’instar des méliphages, on pourrait imaginer une forme d’apprentissage plus suivie et plus inscrite dans la durée auprès d’un référent qualifié, une forme de compagnonnage tel qu’il pouvait se pratiquer au Moyen-âge.

Pour en savoir plus sur le méliphage, lisez l’article du Monde : Monde du 18 mars 2021.

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